Reste toi-même mon fils
Je n'aime pas te voir triste.
Hier midi, quand je suis venue chercher ton frère pour l'emmener chez l'orthophoniste, j'ai croisé ton regard derrière les barreaux de la cour des petits. Je t'ai vu malheureux et mon coeur s'est fendu en 2.
Tu venais d'être puni une nouvelle fois, malgré tout tes efforts des derniers jours.
A la maison tout va bien, mais à l'école, depuis quelques semaines, je te vois inquiet, perdu, partagé, hésitant.
Il faut dire que depuis un rendez-vous avec la maitresse qui ne m'a pas dit que des choses agréables à ton sujet, nous te mettons la pression pour que tu sois un peu plus sage et attentif en classe.
Trop peut-être.
Il parait que tu te bagarres plus que de raison, que tu n'arrives pas à rester assis en classe, que tu bâcles ton travail, trop préoccupé par l'envie de faire le pitre et d'amuser tes copains.
Je sais bien que tu manques un peu de concentration, mais quand tu le veux, tu es capable de t'appliquer et de prendre ton temps pour réussir. Je vois bien le plaisir que tu prends tous les week-ends avec ton papa à écrire et déchiffrer de nouveaux mots.
Je sais que tu es un merveilleux petit garçon, avide d'apprendre, curieux, dévorant la vie à pleine dents et heureux de vivre.
Tu aimes l'école, la classe, la récré. Je sais que tu t'y sens bien et pourtant en ce moment tu n'y es pas à l'aise.
Déjà une semaine que tous les matins, juste avant de te laisser pour la journée, on se regarde droit dans les yeux et que tu me promets d'être sage. Chaque matin, tu t'accroches un peu plus à moi, me laisser partir et m'éloigner t'est difficile.
Déjà une semaine que tous les soirs, je vois ton regard angoissé et inquiet quand tu demandes à ton ATSEM ou ta maitresse, au moment de les quitter, si tu as été sage.
Hier soir, en venant te chercher, j'ai vu la même détresse dans tes yeux que le midi même.
Il devenait essentiel que l'on parle tous les 2 tranquillement.
Alors j'ai casé ton frère devant un dessin animé et j'ai attendu que tu sortes de ton bain, détendu, calmé, et que tes larmes aient séchées.
Toi dont la carapace est si dur à briser d'habitude, tout de suite tu as craqué. Tu voudrais être sage, tu fais des efforts, mais on t'en empêche. Il a fallu que je creuse un peu le "on", mais tu m'as finalement donné 2 noms, qui ne m'ont qu'à moitié étonnée. Des noms que je connais très bien puisque ce sont tes amis les plus proches, ceux avec qui tu partages ta vie à l'école depuis presque 3 ans. Vous avez grandi côte à côte, vous vous êtes construits ensemble, quasiment des inséparables.
Sauf qu'ils sont un peu plus chahuteurs, un peu plus bagarreurs, un peu plus faiseurs d'histoire que toi.
Et toi, forcément tu ne veux pas les décevoir, tu cherches leur reconnaissance, leur admiration en mimant leur comportement et en te laissant emporter par leurs bêtises.
Seul ou dans un autre groupe, il parait que tu es irréprochable, gentil, sage, obéissant, attentif.
Je ne dis pas que tu es un ange, un petit garçon parfait, loin de là, mais je sais à quel point la volonté de plaire à ses amis peut changer une personne et c'est ce qui t'arrive aujourd'hui.
Le plus dur dans tout ça, c'est que tu n'es pas le plus malin de la bande car il semble que ça soit toi qui te fasses prendre le plus souvent, même si ton ATSEM et ta maitresse ne sont pas dupes, comme elles me l'ont confié.
A tort depuis le début, j'ai donc cru que tu étais le seul responsable de ce nouveau comportement.
En fait, tu es juste toi-même, un enfant avide d'amitié qui pense que pour garder des amis, il faut forcément jouer un rôle, être un autre que soi, rentrer dans leur jeu, leur prouver de quoi on est capable et les épater.
Je t'ai écouté me raconter tout ça pendant de longues minutes, toi blotti contre moi, ta petite voix tremblante, heureux de pouvoir laisser sortir ce que tu avais sur le coeur depuis longtemps, de déposer ton fardeau.
Ensemble, on a essayé de trouver des solutions.
Après m'avoir juré mordicus que tu n'avais pas d'autres copains avec qui jouer, tu as avoué à demi-mots qu'avec bidule et truc, c'était chouette aussi et qu'ils avaient plein d'idées pour s'amuser.
Tu m'as promis d'essayer de partager un peu plus de temps avec les autres enfants, de résister face aux tentations des copains, de prévenir un adulte si tu sentais que ça dégénérait.
De mon côté, je t'ai promis d'en parler avec la maitresse, de lui proposer de vous séparer dans la classe pour que tu puisses travailler comme tu le souhaitais. Je t'ai aussi demandé si tu voyais un inconvénient à ne plus être avec eux dans la même classe l'année prochaine, sans hésiter une seconde tu m'as dit non, que de toute façon vous vous verrez à la cantine et à la récré et que c'était peut-être mieux comme ça.
On s'est serré fort dans les bras, sans un mot, ta façon bien à toi de me dire merci.
Je t'ai fait promettre de venir tout me raconter quand tu en ressentais le besoin...je ne te l'avais peut-être jusque là pas assez dit, mais une maman, c'est une oreille grande ouverte, qui voit tout, qui sait tout, qui ressent tout.
Tes yeux se sont remis à briller, ton sourire est revenu.
Demain c'est mercredi, tu vas chez Mickey avec ta mamie. Voilà une belle journée qui s'annonce pour oublier tous tes soucis.
Je t'aime si fort mon Mister E.... je voudrais pouvoir enlever tous les obstacles sur ton chemin, mais c'est comme ça que l'on grandit. Je crois en toi, tu les surmontras tous, seul ou ensemble, peu importe, mais tu y arriveras.