Et puis la peur
Cette sortie là, ils en rêvaient depuis longtemps.
Et puis comme d'habitude, on repoussait, on repoussait. Pas le temps, pas le bon moment.
Il a fallu qu'une amie vienne de province pour qu'on se la programme enfin avec elle.
J'avais pris une baby-sitter pour Sweet A. On avait presque réussi à garder la surprise pour les garçons.
On a enfilé nos gros manteaux, sorti les bonnets et les écharpes pour ne pas avoir froid.
On a pris le métro tous les 5. Eux fiers de sortir avec leurs parents un vendredi soir à Paris. Nous fiers de faire une sortie en famille avec nos grands.
On a mangé un MacDo, le plaisir ultime des boyswhatelse. Puis on s'est dirigé vers le Pont Neuf pour embarquer sur un bateau mouche.
Cela devait bien faire 20 ans depuis mon dernier tour. J'étais excitée comme une petite fille.
On s'est installé sur le pont supérieur malgré le froid. On voulait en profiter un maximum.
On a eu des lumières plein les yeux. On n'a pas toujours été écouté la guide. On a promené nos yeux à gauche et à droite. On a redécouvert notre ville avec un regard de touristes.
On a expliqué aux enfants les monuments. On les a réchauffé. On a ri. On a fait les fous. On s'est amusé.
5 minutes avant l'arrivée, on est retourné se mettre au chaud en bas.
Je suis sortie une dernière fois à l'arrière du bateau pour faire encore quelques photos.
A mon retour, le visage de Papawhatelse était figé. Il m'a intimé l'ordre de regarder mon fil Twitter.
Quoi? Quelle star est mort? Qui s'écharpe encore sur la toile?
Rien de tout ça, à part un mot : fusillade.
Je crois que je n'ai pas compris du premier coup. Il a fallu que Papawhatelse m'explique au creux de l'oreille pour qu'enfin je décrypte tous les tweets.
Et puis j'ai vu la carte avec les endroits touchés. Pas la rue d'à côté, mais pas franchement loin non plus.
Il était 22h. Tout venait de commencer. Tout était en train de se passer.
Alors la peur s'est installée. Mes doigts se sont figés. Je n'arrivais plus à taper sur mon téléphone.
La décision s'est vite imposée à nous : rester groupés pour rejoindre le métro à Châtelet le plus rapidement possible et ne rien dire aux enfants.
Alors on est descendu de la péniche au milieu des touristes insouciants. On s'est donné la main et j'ai serré fort celle de Mister E. dans la mienne.
On a tracé comme on pourrait dire. Pour les enfants, l'excuse c'était le froid. Vite vite, avancez pour vous mettre au chaud.
Chaque voiture croisée m'angoissait... et si...? Celles qui avaient le malheur de ralentir à notre hauteur me terrorisait. Celles qui passaient à toute allure me forçaient à me retourner.
Et puis il y avait toutes ses lumières bleus et ses sirènes dans la nuit. Pompiers, police, ambulance...
On s'est engouffré dans le métro, on s'est assis et on s'est regardé. Le silence s'est installé. On a essayé de plaisanter avec les enfants mais eux aussi leur insouciance s'était un peu envolée. Le froid, la fatigue ou déjà un pressentiment?
Plus que quelques minutes et on serait chez nous. En sécurité.
On les a couchés. Je les ai serrés fort dans mes bras. Je leur ai dit que je les aimais et qu'il fallait vite dormir car demain serait un autre jour.
On a enfin allumé la télé et on s'est gavé jusqu'à plus d'heures - je crois qu'il n'y a pas d'autres mots - d'informations et d'images comme pour se persuader de la (triste) réalité des évènements.
Janvier. Charlie. L'hyper cacher au bout de ma rue. Tout ça n'était donc pas fini. Tout ça recommençait si proche de nous.
Je sais bien qu'il ne faut pas avoir peur, qu'il faut continuer à vivre, que s'arrêter c'est les laisser gagner... Mais cette fois-ci, j'ai vraiment du mal à reprendre une activité normale.
Je ne peux pas m'empêcher de penser à tous ces visages que je vois défiler sur les réseaux sociaux et qui ont été fauchés dans la leur, à toutes ces familles qui pleurent et qui se demandent "pourquoi eux?"
Ce matin, j'ai trié les photos prises lors de notre balade nocturne. Notre sortie sera à tout jamais entachée de ce drame. Mais je me raccroche à ces images prises quelques minutes avant.
Parce que purée ce que Paris est joli, magique et libre.
Mais depuis vendredi soir, Paris est triste. Paris est flou. Paris pleure.
Et moi aussi.