Faillible
Je déteste défaillir. Manquer à mes obligations. Rater une occasion. Oublier un rendez-vous. Perdre des affaires. Ne pas tout contrôler.
Et pourtant je suis loin d'être parfaite, mais avoir la sensation de (presque) tout maitriser me rassure. Cela me calme et m'apaise. J'aime que tout soit carré, prévu, anticipé, réfléchi, organisé.
L'imprévu me rend quasi hystérique. Je perds pieds. J'arrive même à en avoir la nausée.
Je sais bien que je suis un ovni : avec 3 enfants, impossible de tout calculer.
Oui mais voilà à 35 ans, on ne me changera pas. Je suis comme ça. Alors l'écrire c'est déjà l'accepter un peu.
Hier la journée fut presque parfaite. Jusqu'à 17h30, heure du drame.
Les enfants ont été adorables. Mister E. a fait ses devoirs sans rechigner et avec une énorme bonne volonté. Little B. a retrouvé ses petites croix avec plaisir après 5 jours de pause. Sweet A. a mangé de bon appétit. Les garçons ont joué gentiment à la wii, sans se battre, chacun leur tour. Elle a dormi 3 heures d'affilée.
Nous nous sommes amusés à préparer une citrouille d'Halloween, celles qu'ils me réclamaient depuis plusieurs années et que je me suis enfin décidée à acheter.
On a dessiné les yeux, le nez, la bouche. J'ai creusé, découpé. Ils ont mis les bougies. On les a allumées. J'ai trouvé une jolie place à notre Jack-O-Lantern.
On a goûté puis on est vite sorti profiter encore un peu de la douceur de l'automne avant la nuit.
Et puis assise sur mon banc au square, j'ai eu comme un éclair.
Les bougies! J'avais oublié d'éteindre les bougies. Tout allait brûler. Tout avait déjà brûlé.
Les gens autour de moi m'ont certainement prise pour une dingue. J'ai hurlé plus que de raison les prénoms des boyswhatelse, qui bien sûr n'ont pas répondu dans la seconde.
J'étais prête à partir sans eux, à les abandonner sur place pour aller constater le tas de cendres qu'il resterait de mon chez moi.
Au bout de quelques minutes (et quelques cris de bêtes plus tard), ils ont enfin sorti leur tête.
J'ai remercié le ciel d'avoir pris les trottinettes.
Sans trop leur donner d'explications, on s'est mis à courir et eux à rouler. Je leur ai hurlé dessus, sans aucun sentiment ni apitoiement quand mon Little B. s'est malencontreusement vautré au milieu du trottoir. J'ai traversé les rues, sans même me retourner pour vérifier qu'ils pouvaient s'engager en toute sécurité.
On a remonté la longue ligne droite jusqu'à chez nous. J'écoutais au loin les bruits pour vérifier que les pompiers n'étaient pas encore en route. Le signal n'avait pas été encore donné par les voisins. J'avais une chance de sauver quelques meubles, quelques affaires.
On a croisé la baby-sitter des enfants, même pas le temps d'un bonjour, d'un signe de la main. Elle a du me prendre pour une dingue.
Devant l'entrée de l'immeuble, je les ai abandonnés tous les 3 et ai monté 4 par 4 les marches.
Pas de fumée dans la cage d'escalier. Rien sous mon paillasson.
Je ne sais pas, vu mon état, comment j'ai fait pour mettre correctement la clé dans la serrure, mais j'y suis arrivé. A peine la porte ouverte, je me suis jetée sur Jack et j'ai soufflé tout ce que j'ai pu. J'ai craché mes poumons sur cette pauvre citrouille.
Ma maison était intacte. La citrouille bien orange. Aucune odeur de fumée. Tout allait très bien.
Tout sauf moi, complètement paniquée, à bout de souffle (il m'a quand même fallu 3 bouffées de Ventoline pour recommencer à respirer normalement au bout de 15 minutes....) et les enfants à qui il a fallu raconter, expliquer, le pourquoi de cette course folle.
Eux aussi m'ont prise pour une dingue. C'est certain.
Ce matin, à tête reposée, je réalise combien j'ai failli sur ce coup là.
Ah il tombait à pic mon si fier hashtag sous la photo de ma citrouille publiée sur Instagram une toute petite heure auparavant : #bestmumever.
Ah oui elle est belle la meilleure maman de tous les temps. Elle a failli faire brûler le toit familial,, abandonner ses gosses au square, laisser ses enfants se faire écraser, mourir d'asphyxie et elle a même perdu les lunettes de son fils, oubliées soit sur le banc du square (et disparues aujourd'hui) ou perdues pendant notre marathon urbain...
On peut dire que sur ce coup-là, je n'ai rien maitrisé du tout. J'ai même tout foiré, oui.
A trop vouloir être parfaite, on en oublie l'essentiel : la raison.
Que cette aventure me serve de leçon et m'aide à progresser dans mes imperfections (et elles sont nombreuses!).