Osez la reconversion : de contrôleur financier à maitresse
Il y a quelques mois j'avais répondu à une interview d'Emmanuelle Ameille, coach en développement personnel et parentalité, qui m'avait bien boostée en début d'année dans mes révisions pour le concours. Cette interview portait sur mon choix de reconversion professionnelle. J'ai eu envie de la publier aussi, pour laisser une trace de mon cheminement....
Quel était ton métier avant ?
Consolideur puis contrôleur financier au sein de la direction financière d’un grand groupe de l’industrie pharmaceutique
Tu avais fait quelles études ?
Ne sachant pas trop quoi faire plus tard, j’ai d’abord passé un Bac S histoire de me garder toutes les possibilités. Puis Dauphine à Paris m’ayant ouvert ses bras, j’y suis restée 5 ans avec un DEUG de Gestion et Economie Appliquée, une Maitrise de Sciences de Gestion et un DESS de fiscalité.
Te souviens-tu pourquoi tu avais choisi ce chemin là ?
Très honnêtement pas vraiment. A 18 ans, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire plus tard. J’ai rempli plein de dossiers différents en terminale (école de chimie, école de commerce, fac…) et j’ai été acceptée un peu partout. Mes parents étaient hyper enthousiastes sur l’université Paris Dauphine qui avait bonne réputation, j’y suis allée parce qu’on m’avait dit que c’était bien mais je ne savais toujours pas exactement ce que je voulais faire de ma vie professionnelle…
Quand as-tu commencé à douter ?
Je crois que je n’ai jamais cessé de douter en fait!!! Toute ma vie professionnelle a été faite d’opportunités que j’ai accepté au gré des propositions. Je ne me suis jamais vraiment posée de questions. J’ai pris ce qui venait. J’ai fait mon job comme on l’attendait de moi. Il faut dire que pendant 7 ans, je suis tombée dans de supers équipes, où je travaillais plus avec des amis qu’avec des collègues. J’étais contente de venir bosser. On travaillait bien sûr mais dans une ambiance amicale et bienveillante alors forcément ça aide à se sentir bien.
Te souviens-tu d’un moment précis où tu t’es dit « je ne suis plus à ma place ? ».
Après mon second congé maternité, tout a finalement basculé.
2 grossesses en 20 mois, ça n’arrange pas tout le monde et mon manager le premier. Il m’a demandé de trouver un autre poste dans le groupe. Un peu pressée et la tête ailleurs avec mon nouveau né dans les bras, j’ai pris la première offre qui se présentait à moi : elle collait à mon profil et à mes compétences mais pas du tout à mes envies. Au bout de 3 mois, je me suis demandée ce que je faisais là. Le boulot ne me plaisait pas, l’environnement non plus, et l’équipe entièrement masculine était à 100 000 lieues de mes préoccupations de jeune maman.
Peu à peu j’ai eu droit à du « bon après-midi » à 18h15 alors que j’étais là depuis 8h30, des conseils du type « tu devrais prendre quelqu’un pour récupérer tes enfants chez la nounou » (ah oui et je les vois quand mes enfants???) et puis mon équipe a été délocalisée en très très grande banlieue parisienne : j’ai décidé alors de tout plaquer et de négocier une rupture conventionnelle.
Qu’as-tu ressenti à ce moment là ?
J’étais très très mal. Chaque matin après avoir déposé mes enfants chez leur nounou, je remontais en voiture et je pleurais sur tout le trajet pour aller au boulot. Et le soir rebelote : les larmes se mettaient à couler dès que je mettais la clé dans la serrure et j’essuyais tout juste avant de récupérer mes enfants.
J’ai vécu un enfer avant et une fois avoir pris ma décision : avant c’était des larmes de souffrance, après de soulagement et de peur de ce que j’allais devenir.
Quelles étaient tes nouvelles priorités ?
J’ai décidé de profiter de ces 2 années de chômage pour me consacrer entièrement à mes garçons et chercher un sens à ma vie, ce que j’avais vraiment envie de faire au fond de moi. Entre-temps une petite fille est venue agrandir notre famille et je suis finalement restée 6 ans auprès de mes enfants. Non pas sans rien faire bien sûr : je me suis pas mal occupée de mon blog, j’ai réalisé quelques envies comme de me mettre à la couture et je me suis également beaucoup investie au sein de l’association des parents d’élèves de l’école de mes enfants.
Comment as-tu su que tu devais y aller ?
2 mois après l’entrée de ma dernière à l’école, il est arrivé un moment où financièrement ça devenait compliqué d’être à la maison sans revenu. On a donc décidé avec mon mari qu’il était temps de reprendre une activité professionnelle. J’ai passé plusieurs entretiens pour reprendre le même job que j’avais avant mais je ne le sentais pas.
Souvent on me demandait comment j’allais faire pour gérer mes soirées et les vacances avec mes 3 enfants. Je trouvais cette question déplacée et surtout elle faisait écho en moi, à ce que j’avais vécu auparavant. Je n’avais aucune envie de repartir dans le même cycle infernal qu’avant. Un soir, en haut d’une tour à la Défense, après un nouveau rendez-vous qui s’était pourtant bien passé, j’ai réalisé que je ne voulais absolument plus exercer le métier que j’avais auparavant.
Te souviens-tu d’une rencontre déterminante ?
Ce n’était pas une rencontre mais plutôt un mail d’appel à l’aide du directeur de l’école privée de mes enfants qui est arrivé au moment où je commençais mes recherches d’emploi : le diocèse de notre département (qui gère le personnel enseignant des écoles privées) recherchait de manière assez urgente des instituteurs suppléants.
Après une longue discussion avec lui, il s’est avéré que mon parcours universitaire et professionnel et mes motivations remplissaient les conditions pour postuler : j’ai dit banco et j’ai envoyé ma candidature!!! 3 jours plus tard, j’étais reçue en rendez-vous et l’aventure commençait.
Que fais-tu aujourd’hui ?
Depuis décembre 2017, je suis désormais maitresse suppléante dans le 1er degré, c’est à dire qu’on m’appelle au gré des absences des enseignants en primaire ou maternelle. Cela peut aller d’un replacement de quelques jours à une année complète si besoin.
J’ai déjà effectué plusieurs suppléances : l’une de 15 jours dans une classe de moyens/grands, l’autre de 6 semaines dans une classe de petite section, classe pas banale puisque c’était celle de ma fille, 6 semaines en CP, 6 semaines en CM2 et pour la rentrée 2018/2019, j'ai une classe de CM2 pour toute l'année!
Est-ce qu’en y pensant tout ça n’a t-il pas un sens et n’est que la réalisation de ce à quoi tu aspirais avant ?
J’ai toujours adoré être avec des enfants. J’avais souvent pensé faire quelque chose dans ce domaine sans vraiment jamais le concrétiser.
Je me suis toujours beaucoup investie dans l’école des mes enfants : maman correspondante, trésorière de l’association des parents d’élèves, accompagner les sorties de classe…. travailler dans l’enseignement, être dans une école au quotidien c’est finalement comme un prolongement, un aboutissement naturel.
Que ressens-tu quand tu te lèves le matin ?
Je suis heureuse d’aller travailler. Je me sens utile. J’ai souvent utilisé dans mon précédent métier l’image du hamster qui courait dans sa roue sans vraiment savoir pourquoi : c’était un peu moi dans mon bureau à empiler des chiffres dans un tableau excel sans vraiment voir la finalité de mon travail, noyée au milieu d’une masse d’indicateurs.
Aujourd’hui, je sers à quelque chose : je vois dans le regard de mes élèves qu’ils ont besoin de moi. Il y a un vrai échange : je leur apporte et ils me donnent énormément.
Etre maitresse demande un travail préparatoire énorme : je travaille souvent à la maison pour préparer mes journées mais ça ne me pèse pas. Je suis bien là où je suis.
As-tu trouvé un nouveau sens à ta vie ?
Oh oui!! Je sais désormais pourquoi je me lève tous les matins!!!
Qu’as-tu perdu en changeant d’orientation ?
J’ai perdu en salaire forcément.
Qu’as-tu gagné ?
J’ai gagné en souplesse : je peux continuer à m’occuper de mes enfants sans avoir recours à une nounou. Je suis là à l’école après l’étude ou la garderie à 17h45, j’ai mes mercredis et les vacances scolaires avec eux. Je n’ai pas le sentiment de confier le soin de leur éducation et leurs devoirs à quelqu’un d’autre. Je suis là pour eux quasiment comme j’aurais pu l’être si j’étais restée à la maison. Et finalement ma perte financière de salaire se compense quasiment avec le salaire que j’aurais du verser à une nounou.
Mes enfants sont fiers d’avoir une maman qui est maitresse, c’est forcément un métier qui leur parle, bien plus que contrôleur financier.
Dernière chose : j’ai retrouvé un statut social auprès des gens. Je ne suis plus la mère au foyer sans intérêt, à qui on tourne le dos dès qu’elle a énoncé ce qu’elle était dans la vie. On s’intéresse de nouveau à moi, on me pose des questions…
De quoi es-tu plus riche aujourd’hui ?
Du contact humain. En étant suppléante, je rencontre non seulement de nombreux élèves mais je fais aussi à chaque fois la rencontre d’une nouvelle équipe éducative. Ces suppléances sont des moments très riches tant sur le plan personnel que professionnel.
Je n’ai plus peur du changement comme avant. Chaque nouvelle classe est un challenge que j’ose relever sans être morte de trouille (enfin quand même un peu mais ça passe très vite)!!!
Qu’apportes-tu aux autres ?
Difficile comme question… peut-être ma « fraîcheur » dans le métier, un regard différent sur l’enseignement compte tenu de mon expérience passée dans le privé.
Et avec mes enfants, j’ai également changé. Je pose un regard différent de celui de simple maman sur les élèves qu’ils sont, je suis capable de mieux les aider à travailler.
Que ressens-tu en y pensant ?
Je me sens à ma place. Hier j’avais rendez-vous pour l’évaluation de ma dernière suppléance avec le directeur de l’école. Il a salué ma posture professionnelle, mon attitude, ma façon de parler aux enfants et aux parents. Il m’a fait remarqué que selon lui c’est comme si j’avais fait ça toute ma vie. C’est le compliment le plus motivant que l’on puisse me faire. Cela me conforte dans mon changement de vie professionnelle et surtout cela lève tous les éventuels doutes que je pouvais encore avoir (la faute à ce fichu manque de confiance en moi dont je souffre!!!).
Si tu avais un conseil à donner à ceux qui songent à la reconversion quel serait-il ?
Se laisser le temps de s’écouter. Se faire confiance. Ne pas s’arrêter à de simples considérations financières même si c’est évidemment important dans la vie : trouver un nouveau confort, être bien dans sa tête et se lever avec l’envie d’aller travailler, ça n’a pas de prix.
Vous pouvez retrouver cette interview sur le site de Madame Parle ;-)