Une nouvelle de taille
Honnêtement j'étais assez pessimiste. Je ne trouvais pas qu'il avait énormément grandi depuis l'arrêt de son traitement en novembre dernier. J'avais même l'impression que l'écart avec ses camarades de classe s'était à nouveau creusé.
De ces vêtements de l'été dernier, beaucoup lui allaient encore. Idem pour les chaussures.
Avec Papawhatelse, on avait commencé à préparer le terrain : "tu sais peut-être que le professeur B. va vouloir qu'on recommence, ça n'est pas grave, tu l'as déjà fait, tu es capable encore, tu sais que ça fonctionne, c'est pour ton bien, pour être comme tes copains, pour pouvoir faire toutes les attractions que tu veux à Nigloland.... promis on lui demandera de commencer après l'été, après nos vacances en Floride, après tes vacances chez tes grands-parents, à la rentrée de CE2...
Voilà où on en était avant-hier soir encore : préparer, anticiper pour ne pas le ramasser en miettes, déçu après notre rendez-vous bi-annuel à l'hôpital.
Dans la voiture, hier midi, en me garant, j'en ai remis une petite couche.
Il avait été tellement content de tout arrêter il y a 8 mois, heureux qu'on l'ait écouté, soulagé qu'on ait compris son ras le bol, que j'appréhendais énormément sa réaction en cas de reprise du traitement.
Pour être tout à fait franche, j'appréhendais pour moi aussi. Préparer cette piqûre tous les soirs, visser l'aiguille, régler le stylo doseur, négocier avec lui, pincer sa fesse, l'entendre gémir ou retenir son souffle, compter jusqu'à 10, dévisser l'aiguille, la jeter dans la boite jaune spéciale de recyclage, ranger le stylo au frigo... tout ça je n'en avais plus envie. Mais si il fallait le refaire, alors je prendrai sur moi, pour mon Mister E, pour son bien être futur. On y était arrivé durant 3 ans et demi, on pouvait bien réussir une nouvelle fois.
On est arrivé en avance, lui toujours anxieux dès qu'il met un pied dans ce couloir jaune-marron, très seventies... 25 minutes à attendre, ça me paraissait une éternité. Et puis elle est sortie de son bureau et nous a pris immédiatement.
1ère petite joie. Ne pas végéter dans ce couloir glauquissime.
On s'est installé, elle a sorti son dossier et a repris la conversation là où on l'avait laissé en octobre dernier. Quel bonheur d'avoir un médecin qui reprend connaissance de ses dossiers avant de se retrouver avec ses patients sous le nez.... tellement rare et tellement précieux de se sentir attendu et de ne pas avoir l'impression d'être le numéro 43 de la journée....
Elle lui a demandé comment il allait, m'a interrogé pour savoir si je trouvais qu'il avait progressé.
Je lui ai fais part de mes doutes.
Alors elle l'a ausculté, mesuré, pesé. J'ai vu mon Mister E se refermer comme une huitre, se tasser sur sa chaise, rentrer sa tête dans ses épaules telle une tortue, les mains enfoncées dans les poches en attendant la sentence.
Et la condamnation n'est pas tombée. Bien au contraire.
2,5 cm de plus pour Mister E en l'espace de 6 mois, date de la dernière piqûre, soit une croissance tout à fait normale. Il mesure à peine moins de 3 cm de la taille moyenne pour son âge, c'est à dire quasiment rien quand on sait d'où on est parti.
Victoire.
Elle nous l'a répété plusieurs fois, pour être sûre qu'on ait bien compris.
J'ai vu un léger sourire passer sur le visage de Mister E., ses yeux ont croisé les miens, comme pour me dire "je le savais".
On est reparti à l'heure où nous avions initialement rendez-vous, gais et légers, comme libérés d'un poids.
J'ai essayé de le faire parler, de lui faire mettre des mots sur ce qu'il venait d'entendre et de comprendre.
Moi j'avais besoin d'en parler, l'envie de le crier au monde entier. On avait enfin un rythme de croissance normal sans coup de pouce!!!
Lui n'a rien voulu me dire de plus que "c'est bien". Je n'aurais rien d'autre comme démonstration que ce simple sourire aperçu quelques minutes auparavant, un sourire qui pour lui voulait tout dire.
Dans 6 mois, on recommencera tout ce processus pré-visite, de préparation, d'anticipation pour éviter une déception, au cas où... Mais la confiance est revenue, on y croit, on est sur la bonne voie. Et pas une seconde, je ne regrette ce choix si difficile à prendre....