La punition
Il y a des jours où d'un simple regard à la sortie de l'école, tu sais qu'il y a connerie dans l'air.
Ce fut le cas la semaine dernière avec Mister E. Jeudi pour être exact. C'est facile, le jeudi c'est le seul jour où il n'est pas en jogging. Le jour où je peux enfin le voir autrement qu'avec son pantalon difforme et tout mou. Le jour où on sort les jean slim, les velours ou les 5 poches.
Je hais les joggings, sachez-le. Mais l'enfant aime le sport et le sport aime l'enfant donc entre les activités sportives extra-scolaires et le sport fait à l'école, on se retrouve à porter un yogging (pardon mais j'adore) 4 jours sur 5. Youhou.
Jeudi dernier donc, on avait sorti le jean, pour se faire un peu beau quoi. Rien d'exceptionnel non plus, mais quand tu vois ton fils dans un yogging (pardon c'est plus fort que moi!) la moitié de la semaine, tu le trouves chic quoiqu'il porte!
J'ai bien vu à son regard et ses yeux baissés que quelque chose n'allait pas. J'ai eu beau le questionner tout le long du chemin, il est resté muet comme une carpe. Et puis on s'est mis aux devoirs, on a enclenché le rythme bain/diner/dodo et j'ai oublié cette sensation de "connerie dans l'air". Jusqu'au moment où il s'est assis à côté de moi pour faire sa lecture. Et là j'ai vu.
J'ai vu sa jambe. J'ai vu ce A majuscule si bien écrit sur son pantalon et cette toute petite croix un peu plus bas.
1ère pensée : "Aurélie, calme-toi, ça n'est peut-être pas ce que tu crois. Pose-lui la question, tu verras, c'est rien."
- Mister E., rassure-moi, c'est bien du feutre pour les dessins et pas le feutre pour ardoise IN-DE-LE-BI-LE?
Là bizarrement sur le dernier mot, ma voix s'est fissurée et j'ai un peu perdu mon calme.
Re-yeux et tête baissés. Et là j'ai compris. Il l'avait fait. La connerie dans l'air que je sentais depuis la sortie de l'école était bien là.
Avec un feutre lavable, j'aurais pu comprendre (et encore!) mais bon ça se lavait et ça disparaissait.
Mais avec un feutre indélébile?? Hein? Un feutre indélébile???? Ce n'est pas comme si je n'avais jamais dit et répété en boucle quinze mille fois qu' "aveccefeutreilfallaitfairetrèsattentionparcequelestachesnepartaientpasàlamachineetquensuitelesvêtementsétaientfoutusàtoutjamais".
Et moi les vêtements tâchés, ça me file des boutons! Je sais bien que ce ne sont que des enfants et depuis 8 ans, j'ai fait énormément de progrès là-dessus.
8 ans de maman, ça vous change une femme à ce niveau-là, croyez-moi. J'ai appris à relativiser ma maniaquerie vestimentaire et à prendre sur moi à un degré inimaginable.
Mais quand c'est fait exprès, c'est juste pas possible. Et là le "A" si joliment écrit ne laissait pas de doute : il l'avait fait délibérément. Son stylo n'était pas tombé tout seul de son bureau, lui griffonnant au passage son pantalon. Non il l'avait pris en main, dégagé sa jambe de sous sa table et dans un moment d'égarement (?), de folie passagère (?), d'ennui (c'est ce qu'il a essayé de me vendre, le petit malin), avait commencé à écrire son alphabet. Dieu merci, il s'était arrêté à la 1ère lettre... quoique si il avait été au bout, cela aurait pu donner un style au pantalon, non??
Bref la connerie était bien là et on ne pouvait plus rien y changer.
Evidemment j'ai crié, râlé et puis je me suis calmée. Il fallait marquer le coup et expulser ma colère verbalement ne servirait à rien.
J'ai pensé le punir d'écran pendant une semaine. Pas de télé, console, ni iPad : cette punition là, il la redoute et ferait son effet. Mais ponctuellement seulement. Elle serait noyée parmi d'autres.
Ce que je voulais c'était une punition utile et éducative. Une punition dont il se souviendrait. Une punition qui lui apprendrait le coût des choses et le respect de son matériel (et vêtements) en général.
J'ai songé un instant lui coller un thermocollant princesse pour cacher la tâche. Sur le moment, en y pensant, j'ai bien ri mais c'était trop humiliant. Et ce n'est pas le but d'une punition.
Et puis j'ai pensé à l'argent. Lui qui compte et recompte ses sous en permanence (ceux de la petite souris, des grands-parents...), qui est fier d'économiser jour après jour, qui aime tant regarder les catalogues de jouets en se disant qu'il peut acheter ci ou ça... c'était ça qui allait le marquer. L'argent qui lui servirait de leçon.
J'en ai touché 2 mots par sms à Papawhatelse, pas encore rentré, pour être sûre qu'il validait mon idée, être certaine que je n'étais pas trop dure et que c'était la bonne solution et puis j'ai annoncé la couleur à Mister E.
Non cette fois-ci il n'y aura pas de punition dite classique (celle des écrans). En revanche, il allait devoir nous reverser le prix de son pantalon.
A sa tête et ses yeux ronds, j'ai compris que l'effet recherché était atteint.
On s'est installé tous les 2 derrière l'ordinateur et on a cherché l'équivalent de son pantalon. J'ai été cool en ne choisissant pas l'exact réplique de son jean un chouillas cher (ou il a eu de la chance en tombant pendant la période des soldes!), toujours est-il qu'on a réussi à trouver un jean ressemblant au sien à 19,90€ chez Monoprix.
Il est tombé d'accord avec moi, a validé mon choix puis est allé chercher son porte-monnaie sans rechigner. Il a compté ses pièces une à une et j'ai bien vu à sa tête qu'il comprenait que cela faisait beaucoup. Il m'a tendu ses sous, contrit et triste, et m'a promis de ne pas recommencer.
C'était dur, pour lui autant que pour moi. Je me suis trouvée extrêmement sévère, mais au moins je n'avais pas crié, hurlé pendant de longues minutes et surtout je n'avais pas ressassé cette histoire des jours durant. Tout s'est passé dans le calme et j'ai trouvé mon attitude bien plus adulte et constructive (et bien moins violente) que si j'avais vociféré pendant des heures pour expier ma colère et mon indignation.
Et quand il m'a dit d'une voix toute triste "si j'avais écrit sur mon jogging, ça m'aurait coûté moins cher, non?", j'ai su qu'il avait compris la leçon. Il venait de commencer à apprendre la valeur des choses. Non on ne jette pas l'argent par les fenêtres, tout a un coût et tout se respecte.
A presque 7 ans et demi, nous voilà entrés dans une nouvelle ère de l'apprentissage, celle du coût de la vie... et franchement ça n'est pas une partie de plaisir.
PS : quand j'y repense aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir été vraiment dure peut-être même un peu trop sévère... que c'est difficile d'être parents et de trouver la juste mesure....