Tu as dit stop
Voilà 3 ans et demi que tous les soirs tu te prêtes au rituel.
3 ans et demi que tu serres les dents, que tu râles souvent un peu, parfois beaucoup.
3 ans et demi que tu assumes les conséquences de notre choix qui fut si difficile à prendre mais que je n'ai jamais regretté une seule seconde.
3 ans et demi d'efforts qui t'ont fait grandir physiquement et mûrir incroyablement.
3 ans et demi que je n'entends plus à tout bout de champ "ah mais vos fils sont des jumeaux?"
3 ans et demi que ton coucher résonne avec un "Mister E. c'est l'heure de la piqûre!".
3 ans et demi que tu grignotes des centimètres (30 pour être tout à fait exacte), plus vite que la moyenne pour rattraper ton retard : le retour sur investissement a été énorme, tel un champignon, tu as poussé toujours plus vite, toujours plus haut.
3 ans et demi que tu es mon grand pour de bon.
3 ans et demi que tu t'endurcis et nous montre ton courage inépuisable.
3 ans et demi, pile la moitié de ton âge....
Et puis hier tu as dit stop.
Lors de ta visite bi-annuelle à l'hôpital, tu as émis le souhait d'arrêter, de faire une pause.
Le professeur qui te suit depuis le début t'a entendu et a compris ton besoin.
D'ici quelques semaines, on n'ouvrira plus le frigo au moment du coucher pour y chercher ton stylo injecteur, on ne préparera plus ton aiguille, on te demandera plus si tu es prêt, tu ne choisiras plus quelle fesse tu veux qu'on pique, on ne comptera plus jusqu'à 10, on ne te frottera plus pour oublier la douleur, tu n'auras plus de petits points bleus sur tes fesses, tu pourras partir tranquille en vacances chez tes grands-parents ou en classe de neige....
Je voyais bien depuis quelques temps que tu commençais à fatiguer, à en avoir assez. Tu avais envie qu'on te laisse tranquille. Tu es aussi grand que la majorité de tes copains, alors pourquoi continuer maman? Oui tes grands yeux inquiets m'ont souvent posé cette question.
Alors cette pause de 6 mois va te permettre de souffler, de retrouver un coucher comme tu ne te souviens plus d'avoir déjà eu, avec juste une petite histoire, un bisou et au lit sans rien d'autre.
Je te mentirais si je disais que je n'avais pas peur de ne plus te voir grandir, de te voir prendre à nouveau du retard. Mais ton déficit est transitoire, et je sais depuis le début qu'il va falloir te laisser pousser seul, sans coup de pouce, tel un papillon qui doit prendre son envol.
En mai prochain, nous referons un point mais d'ici là, profite mon coeur, savoure ton coucher, retrouve ton innocence de petit garçon de 7 ans.
Je ne te le dis pas assez, mais tu m'épates tous les jours un peu plus. Voir tes larmes couler hier après-midi pour ta prise de sang de contrôle, celle qui marque l'arrêt de ton traitement, m'a fait un mal de chien.
J'aimerais te dire que tout est fini, que tu ne souffriras plus jamais, mais ça serait un mensonge.
Tu peux être fier de toi et du chemin que tu as si courageusement parcouru.
Je t'aime fort.
PS : Mister E. est traité par hormones de croissance depuis ses 3 ans et demi pour un retard de croissance important. A l'époque, j'ai eu beaucoup de mal à trouver des familles ayant déjà été confrontées à ce genre de traitement, alors si vous vous trouvez devant ce choix, n'hésitez pas à me contacter, on a toujours beaucoup de questions et parfois peu de réponses ;-)